Un hiver "fait maison". (extrait)


Personnages :

 

Samuel Minier : menuisier, propriétaire d’une maison d’hôte

Jules Minier : écrivain sans le sou, logé temporairement chez son cousin Samuel

Cédric Tarier : ornithologue écologiste

Mathias Lecointre : photographe pour la revue « Les Maisons d’Héléna »

Gilbert : voisin des Minier

Louisette Minier : mère de Samuel

Claire Minier : maîtresse de maison et femme de Samuel

Héléna Decartier : rédactrice en chef de la revue de déco : « Les Maisons d’Héléna »

Julie Coutelier : « ambassadrice EDF »

Bernadette : femme de Gilbert.

Remarque : le rôle de Cédric Tarier peut être tenu indistinctement par un homme ou une femme, tout comme le rôle de Julie Coutelier.

La pièce jouée par le Théâtre de la Laurentienne, commune de Neydens en Haute Savoie. (Photo : Théâtre de la Laurentienne 2013)

Décor :

 

La cuisine d’un chalet : deux ou trois tabourets devant, près du bar. Deux chaises autour d’une petite table, sur laquelle est posée un bouquet de fleurs. Au fond, une fenêtre avec vue sur la montagne. Des étagères de bois, couvertes de vaisselle, pots de grès, moulins à café. On peut avoir des placards ou un vaisselier... Ambiance chalet savoyard. Au fond, une porte vitrée donne sur l’extérieur, deux autres portes donnent sur les autres pièces de la maison.


 

Acte I

 

1er tableau

Samuel passe l’aspirateur en chantant « étoile des neiges », il aspire tout et n’importe quoi (par exemple le bouquet de fleurs etc…)

Jules entre en pyjama, furieux et fatigué.

 

JULES - C’est pas bientôt fini ce bordel ?

Samuel n’entend pas et continue.

 

JULES - Eh ! L’étoile des neiges !

Samuel n’entend pas et continue, il se met à aspirer le pyjama de Jules.

 

JULES - Eh ! L’étoile des neiges !

Samuel lui fait signe qu’il va éteindre l’aspirateur.

JULES - Ah ben ça y est, elle s’est mise en veilleuse, l’étoile des neiges !

 

SAMUEL - Salut Jules, y a quelque chose qui ne va pas ?

 

JULES - Oui, il y a un fou furieux qui passe l’aspirateur en hurlant aux aurores.

 

SAMUEL - Les aurores ne sont plus ce qu’elles étaient. Je te signale qu’il est onze heures !

 

JULES (tout en discutant, Jules se sert un café, tandis que Samuel range l’aspirateur) - Ben justement, je te rappelle que quand on tient une chambre d’hôte, on respecte le client.

 

SAMUEL - On respecte les clients payants. Ton portefeuille se serait-il mystérieusement gonflé pendant la nuit ?

 

JULES (répond la bouche pleine) - Il reste anorexique comme son propriétaire.

 

SAMUEL - Ton anorexie est en régression à ce que je vois. Tu vas être en pleine forme pour nous donner un coup de main.

 

JULES - Bizarre, j’ai un de ces coups de barre moi, je ferais bien une petite sieste.

 

SAMUEL - Ta, ta, ta, toi, tu as besoin de moi et de mon toit, et moi j’ai besoin de toi pour mon toit.

 

JULES - Quoi, moi sous ton toit pour ton toit ? Et toi alors ?

 

SAMUEL - Moi, je t’occupe, toi et je m’occupe de mon toit. Comme ça, Claire sera contente. Tu sais, je ne croyais pas à son projet, elle a dû te le dire. Monter une chambre d’hôtes, ici, ça me paraissait fou ! Il faut dire ce qui est : on est perdus. C’est la montagne, d’accord, mais loin des pistes de ski.

 

JULES - Tu as raison. Dès qu’il neige, on est bloqués huit jours. La DDE pourrait faire un effort.

 

SAMUEL - La DDE ! Les Dégivreurs Désactivés Endormis ! Ils sont comme toi. Ils passent sur la route, oui, mais les cinq cents mètres de chemin, on les déblaie à la pelle ! Cette année c’est toi qui t’y colleras.

 

JULES (bâillement) - Tu peux toujours courir. Moi je suis fait pour les travaux de l’esprit. Le stylo oui ! La pelle non !

 

SAMUEL - Oh si, tu travailleras, je demanderai à maman de t’encourager…

 

JULES - De sa voix mélodieuse et de son 42 fillette. C’est bon, je me rends.

 

Entrée de Louisette, godillots, grosses chaussettes, pull tricoté main, pas très propre, cheveux gris en pétard. Elle jette un regard noir à Jules et grogne :

LOUISETTE - Encore là à paresser, ce feignant !

 

JULES - Quand on parle du loup…

 

LOUISETTE - Ah, y fatigue pas, c’est sûr ! L’autre, l’écolo, y a longtemps qu’il est sur les chemins.

 

JULES - Il a un travail fatigant, lui ?

 

LOUISETTE - Au moins y s’est levé tôt, même s’y passe son temps à se promener.

 

SAMUEL - Allez, cessez de vous chamailler, tous les deux, ça nous changerait. Maman, fiche un peu la paix à Jules. Depuis qu’on est gamins, tu es sur son dos.

 

LOUISETTE - Ben, pour l’instant c’est plutôt lui qu’est sur notre dos. (à Jules) Parasite !

 

JULES (montrant Louisette) - Faut dire que la bête est poilue.

 

LOUISETTE (prend Jules par le col et commence à le secouer) - La bête, elle va te secouer les puces et te flanquer dehors. Tu vas faire trois tours dans tes godasses, tu seras pas déçu du voyage !

SAMUEL - Maman, arrête ! Jules sera toujours le bienvenu ici, il le sait.

 

LOUISETTE - Ça, oui, il le sait ! Y n’a pas de chez lui, l’écrivaillon ? S’il avait un vrai métier, il aurait p’t-êt’ un vrai salaire, au lieu de vivre d’indemnités payées par la sueur des autres !

 

JULES (moqueur) - « Indemnités payées par la sueur des autres ! » ! Tante Louisette, tu es socialiste, maintenant ?

 

LOUISETTE - Et y m’insulte, en plus ! Tiens, ça me dégoûte ! (Elle crache sur le sol et sort.)

 

JULES (avec un léger sourire) - Remarque, tante Louisette aussi fait « authentique ». Mais je ne suis pas sûr qu’elle s’harmonise avec le décor.

 

SAMUEL (nettoie le crachat avec de l’essuie-tout) - Jules, tu exagères. Maman est certes un peu… un peu …

 

JULES - Rustique !

 

SAMUEL - Quoiqu’il en soit, aucun hôte ne s’est plaint.

 

JULES - Normal, ils n’ont pas envie de s’en prendre une ! T’as vu les mains de ta mère !

 

SAMUEL - Et puis, elle n’est pas tout le temps là. Tu sais bien qu’elle vit dans la petite maison d’à côté, elle aime son indépendance.

 

JULES - Ouais, à condition d’avoir quelqu’un à engueuler. En vérité, vous la cachez.

 

Claire entre, une lettre décachetée à la main.

 

CLAIRE - J’ai une nouvelle extraordinaire !

 

JULES (se lève, radieux) - Tante Louisette vient de faire une attaque ?

 

SAMUEL - Oh non, t’es pas drôle, là. C’est Maman, quand même !

 

CLAIRE (interloquée) - Pourquoi ? Elle t’a encore fait une remarque ? Tu la cherches, aussi. Ecoutez : Héléna Decartier arrive ! Vous vous rendez compte !

 

SAMUEL et JULES (qui s’est rassis) - Héléna qui ?

 

CLAIRE - Héléna De-car-tier.

 

SAMUEL et JULES (se regardent, la regardent) - On est censés la connaître ?

 

CLAIRE - Mais ouiii ! Depuis le temps que je t’en parle, Sam. Tu ne te rends pas compte, c’est la rédactrice en chef de la revue que j’adore : Les Maisons d’Héléna !

 

SAMUEL (indifférent) - Ah.

 

CLAIRE - Mais siii ! Regarde ! (Elle tire une revue d’un panier sous le comptoir et l’agite sous le nez de son mari.) Tu sais celle qui écrit (Elle feuillette la revue et lit.) « cette ravissante maison allie harmonieusement architecture utilitaire et digressions ornementales. Les volumes sont magnifiques. De la porte, l’œil s’envole en volute autour de l’escalier de pierre blanche. Le buffet que Marc et Sophie ont chiné à Yport connaît une seconde jeunesse sous un lustre somptueux…. »

 

JULES (avec dédain) - Et ça veut dire quelque chose ? L’œil de la porte s’enroule autour de l’escalier ? C’est la maison de Barbe-Bleue, ton truc !

 

CLAIRE - Tu ne te rends pas compte, Jules, il faut toujours que tu critiques les autres. Tu es jaloux parce qu’elle est publiée, elle !

JULES (piqué) - Dans une revue de déco ! Dont elle est rédactrice… Le beau mérite !

 

SAMUEL - Allez, Jules, laisse tomber, Claire est contente.

 

CLAIRE (exubérante) - Tu ne te rends pas compte, elle vient faire un reportage sur notre maison d’hôtes.

 

JULES - Oh, là !

 

CLAIRE - On va parler de nous partout.

 

JULES - Oh là là !

 

CLAIRE - Elle vient avec son photographe.

 

JULES - Oh là là là là !

 

CLAIRE - Sa revue est beaucoup lue, elle va nous attirer une clientèle folle !

 

JULES - Alors là, qu’est-ce que je me rends compte ! Je vois d’ici son article. (Il se lève et prend le moulin à café.) Claire a réuni sur ses étagères une magnifique collection de vieux ustensiles choisis autant pour leur forme que pour leur âme. Tournons la manivelle de ce moulin à café et il nous contera l’histoire des veillées d’antan. La cuisine allie un charme désuet à la modernité la plus… moderne.

 

CLAIRE (furieuse) - Jules !

 

SAMUEL - C’est vrai, Jules, tu pousses un peu. On a besoin de pub. Il faut savoir se vendre. Bon, quand est-ce qu’elle arrive, ton Héléna Machin ?

 

CLAIRE - Héléna Decartier ! (Elle revient à sa lettre, soudain inquiète.) Elle arrive mardi.

 

JULES - Mais, j’y pense, c’est Tante Louisette qui va être ravie de causer avec ton amie. Tu comptes la récurer un peu avant de la présenter ?

 

CLAIRE (elle observe la chaise du fond puis la dispose sous un angle particulier. Elle s’y reprend à plusieurs fois.) - Oh non ! Sam, mon chéri, euh… Tu ne pourrais pas demander à ta mère d’apporter ses légumes très tôt le matin. Tu comprends, j’aurai plus de travail, c’est mieux si les légumes sont là avant que les hôtes ne se lèvent…

 

JULES - C’est surtout mieux si la vieille, la seule authentique ici, ne se montre pas aux hôtes ! On pourrait te demander où tu l’as chinée, celle-là. Et admirer comme elle est bien conservée dans son jus. (Il se pince le nez.) L’alcool est le meilleur des conservateurs. Tante Louisette en est la preuve vivante !

 

SAMUEL - Jules, quand même… Maman ne boit pas autant que tu le dis…

 

JULES - Evidemment ! Claire a mis les alcools forts sous clé ! Ça ferait mauvais effet pour les hôtes, la mémé affalée sur la table entre deux bouteilles de rhum. Je comprends que vous la cachiez !

 

CLAIRE - Mais je ne peux pas la recevoir avec une maison dans cet état ! Nous devons tout remettre en ordre.

 

JULES (essaie de s’éclipser) - Moi, je vais me laver. Je vous retrouve à midi, pour l’apéro, hein ?

 

SAMUEL et CLAIRE - Jules !

 

JULES - On m’appelle ?

 

SAMUEL - Oui, il y a un brin de ménage à faire.

 

JULES - Mais tu viens de passer l’aspirateur…

 

CLAIRE (lui jette une serpillière) - Justement, la serpillière te tend les bras. Occupe-toi du sol.

 

SAMUEL (lui jette une éponge) - Portes de placard, plan de travail.

 

JULES - Mais je suis un hôte…

 

CLAIRE - C’est dans le programme de remise en forme. Tu m’as l’air tout faible. (Elle sort.)

 

SAMUEL - Et il faut perdre des calories avant d’en reprendre à l’apéro !

 

JULES (se laisse tomber sur le tabouret, découragé. Il se penche pour enrouler la serpillière autour du pied) - Et la serpillière s’enroule en volute autour du haut tabouret, vigie de cette cuisine…

 

On frappe à la porte. Bernadette entre. [...]