Le Souffle du Noroît

Paru le 8 mars 2017 chez Geste 

 

Un polar pour adultes qui se déroule à Yeu au 18e siècle. Suspense assuré !

 

Île d’Yeu, 1778.

De retour d’expédition, le navire de Benjamin de Boissenot échoue à l’île d’Yeu, lors d’une tempête. Le jeune botaniste est alors confronté à une série de meurtres. Il est chargé de mener l’enquête. 

Qui tue de manière aussi répétée que sauvage ? Est-ce un des matelots de son navire ou bien un habitant de l’île ? La troublante guérisseuse est-elle coupable ? Chez le gouverneur ou dans les rues, l’ambiance est lourde de soupçons et de non-dits. 

L’enquêteur aura bien des difficultés à ne pas se tromper de coupable et il ne sortira pas indemne de l’aventure.

Ci-dessous, le premier chapitre



Chapitre 1

 

 

 

         1778

                 

         Le navire craquait de toutes parts. Néanmoins, Benjamin de Boissenot n'avait pas voulu quitter la dunette. Le jeune botaniste se tenait debout près de l'homme de barre, à deux pas du capitaine. Il s'agrippait à un cordage pour ne pas être emporté par la tempête. Au-delà des hurlements du vent et des grondements de la mer qui lui emplissaient les oreilles, il tentait d'écouter les protestations du bâtiment. A entendre gémir les agrès et grincer les cordages, son angoisse augmentait de minute en minute.
         Il sentait la frégate tout entière se plaindre et crier qu'elle n'allait plus tenir longtemps. Secouée par les flots, battue par les lames, la malheureuse Iris plongeait dans les vagues. Elle se relevait, cabrée, luisante d'écume. Elle s'inclinait sur un bord, remontait, plongeait à nouveau. L'océan la fouettait, lançant ses paquets de mer contre la coque et sur toute la largeur du pont. Le vent de noroît rugissait dans les haubans. Il sifflait le long des cordages. Le peu de toile qui n'avait pas été carguée claquait et se tendait à tout rompre.
        Benjamin leva les yeux. Le soleil était caché. Une lumière grise et froide filtrait entre les nuages, faiblement, comme à contrecœur. Le ciel était noir, creusé de volutes plus sombres encore. La mer était blanche autour du navire. Elle prenait une teinte d'un vert cadavérique si on regardait au-delà. Au loin, entre l'eau et les nuages, on distinguait tout juste une côte, une ligne basse, ponctuée par le trait d'un clocher. Se penchant vers le jeune savant, le capitaine tendit le bras et beugla :
         -  Nous passons au large de l'isle Dieu !
    Benjamin hocha la tête. Ce simple mouvement le fit frissonner. Il était trempé jusqu'aux os. Sous la cape de laine imbibée d'écume, son habit était raidi d'eau salé. Son tricorne avait volé au loin. Ses cheveux noirs avaient échappé au lien de velours qui les liaient sur la nuque et ils lui cinglaient le visage. Dans ses chaussures à boucles, ses pieds vêtus de soie étaient glacés. Benjamin était blême, l'air hagard. Il ressemblait plus à un noyé qu'à un spécialiste de la nature. Il se savait responsable de sa précieuse cargaison, et cette charge l'écrasait. Il en venait presque à regretter d'avoir accepté de participer à l'expédition.
        - Arriverons-nous à Lorient ? se questionnait-il, en se remémorant la carte qu'il venait de consulter dans la salle du conseil. Il nous faut encore passer au large de Belle-Isle et pire encore, éviter Groix pour entrer à Lorient ! Nous devrions faire escale pour attendre que le gros temps se calme, ce serait plus prudent. On dit que Port-Breton est une bonne rade, sur cette petite isle. Seulement, comment éviter les récifs qui protègent le noroît de l'isle, quand le vent nous pousse dessus ? Il faut passer au large des Chiens Perrins, puis du Grand Champ, pour atteindre l'abri du port. Ces récifs sont aussi traîtres l'un que l'autre, a dit le capitaine. Comme lui, je préfèrerais filer plus loin...
        La tempête ne leur laissa pas le choix. Le vent retint son souffle un instant, laissant espérer une accalmie, puis il se jeta de toutes ses forces sur la frégate. Sous le choc, l'Iris se cabra comme une cavale affolée par l'attaque d'un tigre. Ensuite, elle bondit dans les flots. Une vague lava la dunette, emportant un mousse qui s'accrochait en vain aux cages à poules. Benjamin, atterré, tendit le bras droit pour saisir la main du garçon. Mais il était trop loin et ne parvint pas à l'atteindre. La mer dévora sa prise.
        Le botaniste se cramponnait à son cordage de la main gauche. Le paquet de mer lui fit perdre l'équilibre, il partit en arrière, mais un réflexe de survie lui fit serrer le poing plus fort. Il ne lâcha pas son filin. Au moment où l'eau se retirait, Benjamin entendit un craquement affreux. Il leva les yeux et vit le mât de misaine se rompre et s'abattre sur le pont, écrasant deux gabiers qui hurlèrent. D'horreur, le jeune homme ferma les yeux. Cependant, les cris de douleur lui vrillèrent le cerveau.
        - Cap au nordet ! mugit le capitaine à l'oreille du timonier. Nous cherchons abri sur la côte nord de l'isle Dieu ! Il faut réparer !
        Le marin opina sans un mot. Il pesa sur le gouvernail et la course de la frégate s'infléchit légèrement. Benjamin, qui avait rouvert les paupières en entendant l'ordre du capitaine, vit peu à peu s'approcher les gerbes d'écume qui signalaient les écueils. Il serra les dents, sentant la tempête avide, qui ne demandait qu'à les drosser sur les roches. Leurs crocs noirs éventreraient la coque du navire et l'océan l'avalerait tout entier avec son équipage. L'Iris dansait comme une furieuse, dans l'espoir d'échapper à ce destin.
        Le savant se sentait impuissant dans cette lutte. Il crispa les poings pour ne pas arracher la barre des mains du matelot. L'homme savait ce qu'il faisait ; il avait fait ses preuves à maintes reprises, au cours du voyage. Benjamin s'exhorta à la confiance. Piloter un navire n'était pas son métier. Bien que l'action le démangeât, il devait laisser travailler le timonier et penser à autre chose. Il serra les mâchoires et se récita mentalement la collection de plantes de l'herbier qu'il rapportait de son voyage. Puis il poursuivit sa récitation par la classification du naturaliste Antoine-Laurent de Jussieu, son modèle. Cette litanie le calma un instant.
        Le navire filait, malgré les secousses. Il évita les récifs et contourna l'île. Les Chiens Perrins et leurs mâchoires acérées n'étaient plus visibles. Bientôt, le Grand Champ, blanc d'écume, fut doublé à son tour. Benjamin respira. Devant eux, la mer était libre. Ils seraient bientôt dans la rade, puis au port.

 

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